Les fafs
Cipriani parcourait à bicyclette le boulevard de Clichy. Au feu rouge, il aperçut deux jeunes hommes d’une vingtaine d’années qui interpellaient de manière menaçante un SDF d’origine africaine, couché sur une bouche de ventilation le long du trottoir. Il descendit de la bicyclette et, tout en la poussant, s’approcha de la scène. Les deux jeunes, cheveux courts, propres sur eux, des bons Français, insultaient l’homme à terre, lui enjoignant de dégager de là et de la France. Le SDF, saoul ou camé, ne comprenait pas grand-chose.
– Hé, vous deux, laissez le gars tranquille, il ne vous a rien fait ! fit Cipriani. Les deux jeunes le dévisagèrent, surpris de voir un homme âgé interrompre une action qu’ils considéraient salutaire pour la Nation.
– Tu veux quoi, l’ancêtre ? On ne t’a rien demandé, lui répondit l’un d’eux. Cipriani lui asséna une droite en plein visage, lui fracturant le nez. Il regarda l’autre, tout en faisant onduler la grosse chaîne du cadenas.
– Dis à ton pote de changer de masque, il est plein de sang, et dégagez !
Les deux jeunes s’éloignèrent sans moufter. Cipriani sortit deux billets de 50 euros qu’il glissa dans la poche de la veste en lambeaux du SDF, qui le regardait hagard.
– Courage, lui dit Cipriani, et il remonta sur son vélo. « Pariolini di merda » murmura-t-il en souriant.
Sa tête bourdonnait, clairement sa tension artérielle avait fait un bond. Il pensa s’allumer une cigarette pour se calmer, mais il renonça. « Je risque d’y laisser ma peau avec ces conneries, »se dit-il. Il était content d’avoir agi ainsi, toutefois, il se sentait un peu aigri : « C’est un vieux comme moi qui doit faire ça ? Si la jeunesse, au lieu de distribuer des tracts démentiels et de passer ses journées scotchée à son téléphone, s’organisait pour remettre à sa place les fachos décomplexés, ça serait beaucoup mieux. Moi, je pourrais rester content sur la touche et pas risquer de faire un arrêt cardiaque. On est une génération sans héritiers « .
extrait du Grand Final